Vers une médiation familiale 2.0 : Texte d’Aldo Morrone

homme20 ans d’existence de Médiations asbl
COLLOQUE INAUGURAL « Qu’avons-nous fait de nos vingt ans en médiation ? »

Vers une médiation familiale 2.0

Texte d’Aldo Morrone, Québec, Canada. Décembre 2015.

Le Vendredi, 19 février 2016

Anniversaire : temps des bilans.

Un regard sur le rétroviseur, pour prendre la mesure du parcours effectué.20-ans-cerise-centre

Le médiateur s’est dédié à faire le pont entre la famille … et l’autre famille, celle en devenir après la séparation, ainsi qu’à la reconnaissance des rôles parentaux, leurs valeurs intrinsèques et leur complémentarité. Il a proposé un regard meilleur sur les besoins des enfants en période de transition et a soutenu les rôles des nouveaux conjoints et des fratries mixtes.

Par son travail intimiste et informel, le médiateur a aussi grandement facilité la transparence en matière familiale, parfois donnant accès à des secrets maladifs et dénonçant les violences et les tabous au sein de la famille en crise.

Le médiateur a aussi soutenu activement le développement de pratiques complémentaires, tels les groupes de parole d’enfants, les sessions éducatives sur la séparation, les lieux de rencontre supervisée, la coordination et le coaching parental. Son souci premier : faciliter la continuité et le développement salutaire des relations familiales après la séparation.

Finalement, le médiateur a milité pour le changement des lois et des mentalités. Un bilan plus que satisfaisant, qui suscite l’admiration des  observateurs et la fierté des praticiens.

Un petit arrêt sur-place

Bien qu’elle n’ait jamais osé le dire à voix haute, la médiation se voulait une petite pensée subversive, voir anarchiste : la croyance que les personnes puissent gérer leurs relations avec l’aide d’un tiers, un semblable.

En pratique, le médiateur a voulu se distinguer, se spécialiser, créer une niche d’intervention. La médiation a été définie principalement le long de trois axes : son rapport aux pratiques légales et psychosociales, la gestion des conflits et la négociation d’ententes. Ces trois champs ont fait sa réussite. La médiation a rencontré un tel succès planétaire qu’elle est devenue partie des nouvelles normes sociaux-légales.

Le danger? Celui qui guette tout système établi, d’adopter les habitudes normatives, au prix d’oublier la valorisation des particularités de chaque situation familiale. Bref, devenir une nouvelle orthodoxie.

Trop souvent, les définitions de base ont pris la forme « ni – ni » : la médiation n’est ni la pratique du droit, ni celle de la thérapie. Surtout, on a opiniâtrement voulu une intervention « brève » et restreint le champ de travail aux conflits et aux ententes liées à la séparation. Ce faisant, on a maladroitement créé les limites à son développement et dramatiquement laissées dans l’ombre les complexités associées à la transition familiale
qui est la séparation/divorce.

Finalement, et malheureusement, on s’est trop souvent évertués à justifier les limites des résultats en mettant l’emphase sur les limites du client (résistance, conflits graves …).

Un regard à travers le parebrise, bien plus vaste que le rétroviseur, pour regarder le paysage devant soi, vers une médiation 2.0.

Le médiateur, pourrait-il proposer –‒ à soi-même, surtout –‒ un nouveau changement de paradigme?

Voici quelques sujets qui mériteraient reconsidération, un nouveau regard qui apporterait meilleur soulagement à la famille et nouvelle énergie au médiateur.

– le meilleur intérêt de l’enfant : comment s’éloigner un peu de la rectitude politique associée à cette notion élevée à dogme et envisager le bien-être de la famille en évolution, adultes et enfants.

– neutralité/impartialité : comment abandonner ce désir prétentieux, qui met le médiateur au-dessus de la mêlée des autres professionnels du divorce. Comment s’avouer l’inutilité d’une telle proposition, explorer d’autres positions d’aide et, parfois, envisager carrément le contraire : le devoir d’ingérence.

– l’entrevue avec les parents : c’est ainsi, essentiellement, que la médiation familiale se fait. Cette pratique est non seulement dominante, mais figée. Les décennies passent et on débat encore sur à la pertinence de la participation des enfants et des nouveaux conjoints.
Comment dégeler l’action et s’ouvrir aux opportunités, aux ressources salutaires variées présentes en famille élargie? Saura-t-on aller au-delà de la sécurité d’une approche de négociation strictement bipartite, basée sur les responsabilités coparentales, et explorer des visions pluripartites qui, dans la création du bien-être familial, reconnaissent égale importance aux rôles et responsabilités d’autres membres, notamment à la fratrie et les
nouveaux conjoints.

– intervention brève : la promesse intrinsèque à l’intervention brève a du mal à tenir. Les transitions familiales durent longtemps et parfois se chevauchent. Les nouvelles réalités d’après séparation : pluralité de personnages, thèmes et variations. On se sépare, on s’éloigne, on se réunit à d’autres et on se transforme. Cela nécessite un accompagnement professionnel de plus vaste portée, idoine à chaque moment.

– l’argent qui compte : comment assumer un peu plus les responsabilités du professionnel qui adresse l’intégralité de ses besoins de la famille en transition? La voir tel qu’elle est : un organisme psycho-socio-économique. Parler d’argent : trop difficile? Éviter la confrontation avec les autres professions établies?

– le conflit : le médiateur en a fait son gagne-pain principal. Il en est devenu l’expert. Celui qui le gère, le surmonte, en soulage les effets. Comment focaliser aussi sur un autre aspect : si moins de conflit … plus d’harmonie? Peut-on décrire autrement l’acte de médiation : le soutien à la compétence, la persévérance, le pardon, la compréhension, le succès? Lorsqu’on apaise l’escalade conflictuelle, facilite-on une escalade harmonieuse?
Comment s’y prendre consciemment, professionnellement? Quel serait l’intérêt de rendre l’harmonie une nouvelle spécialité du médiateur familial?

Une médiation familiale 2.0? Celle qui prend plus de temps, occupe plus d’espace, touche à plus de sujets, s’ouvre à plus de personnes.

 

© 2015 ALDO MORRONE MEDIATIONS asbl

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